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Jeu 14 Mai 19:34:50 EDT 2009


Le néolibéralisme à l'épreuve de la crise financière et économique
par Sandye Gloria-Palermo, Professeur de Sciences Economiques, Université des Antilles-Guyane
07.05.09

Si la crise que traverse l'économie mondiale aujourd'hui est avant tout financière, puis économique et maintenant sociale, elle est aussi fondamentalement idéologique. Les déclarations fracassantes se succèdent de toutes parts annonçant ici le retour du keynésianisme, là, la fin du capitalisme, illustrant les errements idéologiques de prophètes à la recherche d'une nouvelle doctrine.

La crise remet en discussion le credo néolibéral autour duquel s’est organisé, depuis la fin des années 70, l’hégémonie culturelle américaine. Le propre d’un jugement de valeur est d’être l’objet de confrontation et non d’un consensus ; le consensus politique et économique autour de l’idée de la capacité des marchés à s’autoréguler – proposition centrale du projet néolibéral – en marque la domination culturelle, le passage du statut de jugement de valeur à celui de dogme.

Le succès néolibéral se mesure par l'ampleur de la banalisation des valeurs qu'il véhicule. A partir du moment où les dirigeants déclarent qu'il n'existe pas d'alternative au capitalisme, où les hommes politiques s'accordent pour voir la solution du marché comme naturelle et universelle, où la société civile est convertie à la méritocratie jusqu'au plus profond de ses rouages (éducation, sport, statut social), alors il semble bien que le néolibéralisme, depuis les années 80, soit passé du statut d'idéologie à celui de pensée hégémonique au sens de Antonio Gramsci. L'hégémonie culturelle traduit la domination de pratiques quotidiennes et de croyances collectives qui, bien qu'appartenant à une classe sociale déterminée, la classe dominante, deviennent naturelles pour tous. Il faut un cataclysme pour remettre en discussion des normes sociales passées du statut de jugements de valeur à celui de valeurs universelles. La crise des subprimes représente un tel cataclysme.

Cette crise se distingue des précédents accrocs au mythe néolibéral par la conjonction de quatre circonstances : (1) son origine : l'échec du marché à se réguler touche non plus un pays émergent ou en développement mais le gotha de la finance mondiale ; (2) son ampleur : il s'agit de la plus importante crise économique depuis l'après-guerre et le parallèle avec l'ampleur de la crise de 1929 devient évident ; (3) son rayonnement : aucun acteur et aucun secteur n'est à l'abri ; (4) sa nature : les institutions développées dans le but d'optimiser le système financier (titrisation, agences de notation) sont à l'origine même de son implosion.

Le cataclysme bancaire redonne de fait la main aux états et la réponse globale apportée à la crise est somme toute consensuelle : l'heure n'est plus à l'état minimal, les règles du jeu des marchés doivent être reprécisées dans un cadre international, la finance doit être moralisée. En ces termes, la redécouverte des vertus du keynésianisme n'est pas une rupture idéologique très profonde : le pragmatisme, la nécessité de faire quelque chose, prend le pas sur la réflexion idéologique et partout le réformisme triomphe. La remise en cause de l'efficience du marché, en particulier des marchés financiers, accompagnée de la réhabilitation de l'interventionnisme permet de préserver les institutions de base du capitalisme. L'ampleur de la remise en cause idéologique est directement proportionnelle à celle de la crise et la crise est suffisamment importante pour justifier un interventionnisme d'urgence, temporaire et ciblé mais non encore suffisamment pour provoquer une véritable remise en question des fondements du système capitaliste.

La crise a le mérite de remettre en question ce qui par essence n'aurait dû cesser de l'être, à savoir des jugements de valeur, en particulier les jugements de valeur néolibéraux. Mais remise en question ne signifie pas pour autant abandon définitif et jusqu'à présent, les valeurs centrales du néolibéralisme ont été attaquées sous couvert de pragmatisme. La gravité de la crise impose de dépasser la fidélité à des principes abstraits pour trouver des solutions rapides à ce qui pourrait devenir une catastrophe ingérable et la conversion au consensus keynésiens, fut-il vert, n'est en ce sens que pratique et fonctionnelle. Une sortie rapide et indolore de la crise accompagnée d'une nouvelle réglementation des marchés financiers sonnerait la fin du processus de questionnement.

Le nouveau discours politiquement correct fustigerait l'amoralité des marchés financiers présentée comme la cause première de la crise, tout en préservant les institutions du capitalisme. En d'autres termes, la crise n'a pour l'instant permis qu'une amorce de révolution idéologique car de fait, la réalité a rattrapé la fiction smithienne du marché autorégulateur.

 

 

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