[BDPalabres] Crise financière: Vers une recomposition du paysage bancaire en Europe

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Jeu 14 Mai 19:35:50 EDT 2009


Titre : Crise financière: Vers une recomposition du paysage bancaire en Europe
Article : Par Jean-Michel Pacaud, associé,
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Date: Thu, 14 May 2009 19:35:50 -0400
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X-List-Received-Date: Thu, 14 May 2009 23:35:50 -0000

Ernst & Young, Luxembourg

Pas besoin d’être un expert pour l’affirmer: l’année 2008 a été sans aucun doute l’annus horibilis de la banque et des marchés financiers. Pour la première fois, on a vu des acteurs mythiques de la finance mondiale mordre la poussière, démentant ainsi le principe pourtant bien ancré dans les esprits du "too big to fail".

Les marchés actions ont dévissé de plus de 45% sur les principales bourses dans des volumes et avec une volatilité jamais atteints auparavant. Les prix des matières premières ont connu une progression spectaculaire au cours du premier semestre – faisant craindre aux économistes le retour d’une spirale inflationniste - avant de refluer, voire pour certaines matières de s’effondrer, au cours du second semestre devant la perspective toujours plus palpable d’une récession mondiale de grande ampleur. On a vu resurgir des scènes d’épargnants faisant la file devant des guichets de banque, attendant de pouvoir retirer leurs dépôts, scènes que l’on croyait rangées à tout jamais sur les étagères de l’Histoire.

Et comble d’anachronisme, l’État est redevenu, y compris aux yeux des libéraux les plus convaincus, le seul rempart possible contre une crise systémique du secteur bancaire, non seulement en Europe continentale mais également dans les pays anglo-saxons. En quelques mois, le vocabulaire du béotien de la finance s’est singulièrement enrichi: TARP, "bad bank", actifs toxiques...

Face à un tel séisme, nul doute que le paysage bancaire européen va se trouver durablement et profondément modifié. Qui seront les gagnants et les perdants? Comment les stratégies vont-elles évoluer? L’État est-il appelé à jouer un rôle durable? Comment le cadre d’exercice du métier de banquier va-t-il être affecté par les nouvelles réglementations qui s’annoncent? Autant de questions qui conditionnent l’avenir de l’industrie bancaire auxquelles nous tentons d’esquisser une réponse.

Bouleversement des hiérarchies

Si l’on compare le classement des banques européennes par leur capitalisation boursière – mesure certes imparfaite puisqu’elle exclut dudit classement les groupes bancaires non cotés, en particulier les mutualistes – entre le 30 juin 2007 – date qui correspond à l’apogée du cycle haussier – et le 31 décembre 2008, on constate que leur hiérarchie a été profondément bouleversée. Si en moyenne, la capitalisation boursière entre ces deux dates a fondu de 63% - et même de 77% si l’on prolonge l’analyse jusqu’au 6 mars 2009 - certaines banques font nettement mieux que d’autres: ainsi, les valeurs en bourse de HSBC et de Santander n’ont perdu respectivement "que" 25% et 38%, tandis que celles de Barclays et d’UBS fondaient dans le même temps de 72%, celle d’ING de 79%, sans parler de Fortis qui perdu 95% de sa valeur.

Capitalisation boursière: GRAPHIQUR VOIR JOURNAL

Le classement par les fonds propres comptables a lui-même subi d’importants changements, à raison bien sûr des résultats dégagés mais aussi des recapitalisations intervenues pour certains établissements.

Résultats nets: GRAPHIQUR VOIR JOURNAL

Si on examine l’évolution du rapport entre la capitalisation boursière et les fonds propres comptables, on constate que pour la plupart des banques il s’est fortement détérioré, passant de 1,32 en moyenne au 31 décembre 2007 à 0,64 au 31 décembre 2008, illustrant à la fois la perte de confiance des investisseurs dans un secteur beaucoup plus fragile qu’on avait coutume de l’imaginer et la distorsion entre la solidité financière réelle des banques et la perception qu’en ont les marchés.

Quels enseignements peut-on tirer de ces classements? Tout d’abord, et sans surprise, les principaux perdants sont les banques qui ont à la fois la plus forte exposition aux produits toxiques directement liés aux origines de la crise – les sub-primes et autres ABS, MBS et CDO – et qui ont tardé à mesurer et à révéler leur exposition (RBS, Fortis, ING, KB) ou l’ont sous-estimée (UBS). Un fort endettement lié au financement d’acquisitions réalisées en haut de cycle haussier est bien entendu un facteur aggravant (RBS, Fortis). Dans une moindre mesure, l’annonce de pertes de trading, mêmes ponctuelles et d’ampleur limitée, a fortement pénalisé certains établissements (Calyon, Natixis) dans un contexte de nervosité des marchés.

En revanche, il est encore trop tôt pour se prononcer sur l’impact durable de la crise sur l’image individuelle de chaque banque et sur ses parts de marché en banque de détail. Certes nous savons que les banques qui ont dû avouer des problèmes de liquidité ont pu souffrir de retraits plus ou moins massifs des déposants – retraits qui ont à leur tour amplifié leur problème de liquidité (Fortis, Dexia, UBS). Pour autant, d’autres banques ont pu maintenir leur base de clientèle intacte malgré l’annonce de pertes importantes liées à des dépréciations d’actifs. Le soutien financier explicite ou implicite des États qui n’est évidemment pas étranger à la confiance des épargnants introduit provisoirement un biais dans le comportement des clients, et il faudra attendre le retour à une situation normalisée pour tirer les enseignements de la crise dans ce domaine.

Émergence de nouveaux champions

Penchons-nous quelques instants sur les banques qui sont généralement perçues comme les gagnantes de la crise: HSBC, BNP Paribas, Santander, BBVA, voire Barclays, pour ne citer que les principales. Quelles sont les caractéristiques qu’elles partagent? Comment ont-elles adapté leurs stratégies pour tirer le meilleur parti du chaos financier ambiant?





Tout d’abord, constatons qu’aucune de ces banques n’a été épargnée par la crise: elles ont toutes dû constater d’importantes dépréciations d’actifs – HSBC a même été la première banque à annoncer des pertes liées aux subprimes au premier trimestre 2007 - et ont vu les résultats de leur banque d’investissement plonger. En revanche elles l’ont traversé avec moins de dommages que leur concurrentes grâce à des niveaux de fonds propres élevés et à un endettement faible, mais aussi probablement à une plus grande aversion au risque couplée à des dispositifs de risk management suffisamment performants et qui ont su jouer leur rôle.

Pour ces banques, la crise est synonyme d’opportunités. A commencer par des acquisitions à bon compte: Alliance & Leicester, Bradford & Bingley pour Santander, Fortis pour BNP Paribas, les dépouilles de Lehman Brothers pour Barclays – pour ne citer que les principales - Toutefois, si les prix payés apparaissent dérisoires par rapport aux cours boursiers des cibles il y a encore moins d’un an, de telles acquisitions ne sont pas sans risque: risque de dépréciations supplémentaires massives d’actifs toxiques, risque de perte de clientèle, difficultés pour l’acquéreur de se (re)financer… Difficile de prévoir si les stratégies d’acquisition seront payantes à moyen ou long terme.

Il est en outre intéressant de constater que même les banques dont les résultats 2008 ont été les moins affectés par la crise ne dédaignent pas prendre part aux mécanismes de soutien mis en place en place par les États pour renforcer leur solvabilité, ce qui leur permet d’éviter d’avoir recours à une augmentation de capital dont l’effet dilutif serait immédiatement sanctionné par les marchés.

Accélération de la consolidation

Au-delà de ces acquisitions, la consolidation de l’industrie bancaire en Europe devrait se poursuivre, voire s’accélérer, le plus souvent sous la contrainte pour les établissements les plus affaiblis par la crise – Commerzbank/Dresdner Bank, Lloyds TSB/HBOS, Caisses d’épargne / Natexis. Il est intéressant de constater que ces opérations - auxquelles s’ajoute la renaissance d’ABN Amro, qui absorbe Fortis aux Pays-Bas - ont avant tout une dimension domestique, tant il est vrai que le secteur reste encore fortement morcelé dans bon nombre de pays européen (Allemagne, Italie, voire France).

Principales acquisitions (hors états) : GRAPHIQUE VOIR JOURNAL

Autre stratégie classique en temps de réduction des volumes d’affaires: maintenir la profitabilité en réduisant les coûts grâce à des économies d’échelle. L’heure des alliances dans les activités bancaires à faible marge et à forte intensité humaine et informatique – back-offices, métiers titres, monétique, etc.- semble à nouveau avoir sonné. A cet égard, il est probable que le rapprochement annoncé du Crédit Agricole et de Société Générale dans la gestion d’actifs ne soit qu’un prélude au rapprochement des deux banques dans les métiers "titres". D’autres grands acteurs de ce secteur leur emboîteront sans aucun doute le pas dans les mois à venir.

Retour de l’État actionnaire

Au plus fort du psychodrame de l’automne 2008, les États sont apparus aux yeux de la plupart des acteurs et des observateurs des milieux économiques et financiers le seul rempart possible contre l’enchaînement inexorable des faillites bancaires. On notera d’ailleurs que les gouvernements et les autorités monétaires des principaux pays industrialisés ont su très rapidement prendre la mesure de l’ampleur des risques d’une crise systémique et agir de manière forte et concertée. Leurs interventions ont revêtu différentes formes:
- garantie des dépôts des épargnants (au-delà des dispositifs existants) afin d’éviter des retraits massifs qui auraient accéléré les problèmes de liquidité des banques concernées,
- garantie des dépôts interbancaires afin de permettre le réamorçage du marché interbancaire malgré la défiance que les banques se portaient mutuellement,
- prêts ou souscription à des émissions de quasi-capital destinés à améliorer la solvabilité des établissements de crédit et leur permettre de continuer à prêter aux entreprises,
- mise en place de dispositifs de rachat ou de cantonnement des actifs toxiques dont la perte de valeur massive est à l’origine des difficultés des banques, à travers la création de special purpose vehicle ou de schémas de garantie,
- prise de participation minoritaire ou majoritaire, équivalent à une nationalisation de fait. C’est ainsi que les États britannique, irlandais, belge, néerlandais, allemand sont devenus en quelques semaines des actionnaires de référence de quelques uns des fleurons de leurs industries bancaires.

Principales interventions des états: GRAPHIQUE VOIR JOURNAL

(1) N/A: correspond à la souscription par l'État concerné de titres assimilé à du "core capital"
N/C: non communiqué

Les États ont en outre dans certains cas joué le rôle de "parrain", encourageant les fusions de banques en difficulté (Lloyds TSB et HBOS, Caisses d’épargne et Banques Populaires).

Quelle seront les stratégies des États-actionnaires? De toute évidence, une fois atteint l’objectif de très court terme – éviter la faillite pure et simple des systèmes bancaires – leur rôle devient plus délicat: des raisons de politique intérieure les poussent à exiger des contreparties en matière de gouvernance, voire à s’ingérer dans le management, ce qui amène certaines banques – Deutsche Bank – à dédaigner leur soutien, au moins provisoirement.
Quoi qu’il en soit, les gouvernements concernés sont les premiers à affirmer qu’ils n’ont pas vocation à rester actionnaires de référence de quelques poids lourds du secteur bancaire sur le long terme, et ce pour plusieurs raisons:
- lorsque la situation des systèmes bancaires européens sera redevenue normale, la coexistence de banques privées avec des banques bénéficiant du soutien implicite ou explicite de l’État sera à l’évidence génératrice de distorsion de concurrence ;
- l’expérience passée a montré que l’État gestionnaire a plutôt tendance à créer moins de valeur qu’un management totalement privé ;
- enfin, et ce n’est pas la moindre, il faudra bien qu’à un moment les États s’attaquent aux déficits budgétaires abyssaux que leurs interventions, certes fort opportunes, ont contribué à creuser. Et quel meilleur moyen de le faire que de remettre sur le marché leurs participations dans des banques enfin assainies?

On peut donc raisonnablement s’attendre à ce que dans un horizon de 3 à 5 ans, les États se désengagent massivement du secteur bancaire.

Refonte de la supervision du secteur bancaire

Il y a cependant fort à parier qu’ils ne le feront qu’à condition d’avoir, au préalable, mis en place ou obtenu des garde-fous contre les dérives qui ont conduit au marasme actuel, afin de limiter la probabilité qu’il se reproduise. Au-delà du discours populiste en vogue – en particulier en France - sur le plafonnement des bonus, ces garde-fous ne peuvent venir que d’une refonte globale et intelligente de la surveillance du système financier au sens le plus large, englobant non seulement les banques mais également les marchés d’instruments financiers, les hedge funds, les agences de notation, bref toutes les composantes du système jugées à tort ou à raison responsables de la crise financière. Nombre d’observateurs s’interrogent également sur le rôle joué par les normes comptables internationales IFRS et les nouvelles normes de solvabilité des banques "Bâle 2" comme catalyseur de la crise: difficulté de mesurer la fair value des instruments financiers, aspects pro-cycliques de ces corps de règles… autant de questions de fond qui devront être résolues pour permettre une refondation durable des dispositifs de surveillance, préalable indispensable au retour de la confiance dans le système bancaire.

Jean-Michel Pacaud, Ernst & Young, Luxembourg

 

 

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