Le Staff report for a Request for Stand-By Arrangement (Mémorandum des services du FMI sur une demande d’Accord de confirmation) du 17 mai 2004 indique que des discussions entre le Fonds et les autorités gabonaises ont eu lieu à Libreville entre le 3 et le 16 mars. Ses auteurs affirment,
L’équipe a rencontré le président Omar Bongo Ondimba, le premier ministre, les présidents de l’Assemblée nationale et du Sénat, le ministre de l’Economie et des finances, d’autres hauts fonctionnaires ainsi que des représentants du secteur privé et des bailleurs des fonds. (p. 1)
Des cinq interlocuteurs cités, trois sont forestiers.
1. Qui sont les autres « hauts fonctionnaires » avec qui le FMI a discuté?
La demande officielle du Gabon pour un Accord de confirmation de 14 mois a été présentée par le ministre de l’Economie, Paul Toungui, dans une lettre du 6 mai 2004 adressée à la Première Directrice générale adjointe du Fonds ; la demande a été accompagnée par un « Aide-mémoire de politique économique et financière pour 2004-05 » de 18 pages.
La concession forestière de Paul Toungui – 56 800 hectares dans le département d’Okondja dans la province du Haut-Ogooué – expirera en 2011.
2. Combien de revenus provenant de la sous-traitance de cette concession le ministre a-t-il perçus depuis l’attribution du titre en 1996, en supposant une part égale à 10 % du chiffre d’affaires total ?
Le communiqué de presse du Fonds publié le 28 mai 2004 annonçant l’octroi de l’Accord de confirmation affirme que le programme de politique économique du Gabon pour 2004-05 « vise à approfondir les réformes structurelles, y compris la privatisation et la gouvernance de l’administration publique à tous les niveaux, afin de promouvoir la croissance dans le secteur non pétrolier de l’économie [...] ». Plutôt qu’en termes de privatisation et de gouvernance, nous voyons la promotion effrénée par le Fonds de la croissance non pétrolière en termes de privatisation de la gouvernance.
En République démocratique du Congo, la réforme forestière que mène la Banque mondiale depuis 2002 a pris comme cible principale la fonction rentière d’une industrie forestière néo-patrimoniale, au moins officiellement. La Banque a joué un rôle « majeur » (p. 86) dans la conception de l’Accord de confirmation pour le Gabon ; le succès éventuel de celui-ci « dépendra de l’action complémentaire de la Banque mondiale […].” (p. 86)
3. Quel pourcentage de la forêt gabonaise dite « productive » se trouve actuellement sous contrat de fermage?
En RDC, la Banque affirme que les autorités ont annulé pas moins de 23,4 millions d’hectares de concessions « détenues en spéculation ». Au Gabon, par contre, aucune mesure pour réduire des comportements rentiers ne semble avoir été envisagée.
Dans un article récent, M. Alain Karsenty, consultant de la Banque mondiale, cite l’exemple classique d’une « logique clientéliste » en matière d’exploitation forestière africaine :
[…] L’attribution réservée de certaines portions du territoire (par exemple la zone côtière au Gabon) aux « entrepreneurs » nationaux permettait – et permet toujours – à des notables de s’installer dans une confortable position rentière en « affermant » leurs permis à des exploitants étrangers. (nous soulignons)
4. Pourquoi la Banque lutte-t-elle contre la logique rentière de l’exploitation forestière en RDC mais pas au Gabon?
Dans son bref encadré consacré à la réforme du secteur forestier (« Forestry Sector Reforms Under Way [en cours] »), le staff report du FMI affirme qu’ « une carte des concessions sera finalisée avant fin 2004, comportant une liste de tous les détenteurs de permis. » (p. 25) L’Aide-mémoire de politique économique et financière rédigé par le ministre de l’Economie le 6 mai 2004, indique que cette liste existait au moment de la rédaction du staff report. La première des « mesures clés » de réforme forestière que qualifie le ministre d’« appliquées en 2004 » est « la préparation en janvier 2004 d’une liste de toutes les concessions forestières, qui a été communiquée à la Direction générale des impôts pour assurer que tout détenteur de concession paie la taxe de superficie ». (p. 65)
5. Si la liste officielle des détenteurs de permis a été disponible en janvier 2004, pourquoi sa publication n’a-t-elle pas été une condition pour l’autorisation par le FMI, en mai, de l’Accord de confirmation?
6. Pourquoi sa publication ne figure-t-elle pas parmi les vingt critères d’exécution et repères à satisfaire durant la première phase d’application de l’Accord de confirmation (mai - décembre 2004)?
La deuxième des mesures que liste le ministre de l’Economie comme « appliquées en 2004 » – sans plus de précision – est « un contrôle rigoureux des paiements fiscaux effectués par les détenteurs de concessions et l’annulation des concessions non conformes ». (p. 65) Le staff report indique que la collecte de la nouvelle taxe de superficie et de la taxe d’abattage a démarré au dernier trimestre 2003 (11). La liste officielle des détenteurs de permis, elle, n’a vu le jour qu’en janvier 2004.
7. Comment ces taxes ont-elles été collectées en l’absence d’une liste valide des concessionnaires?
8. Pourquoi la publication de la liste des « concessions non conformes » annulées avant le 6 mai 2004 n’a-t-elle pas été une condition d’autorisation par le FMI de l’Accord de confirmation?
9. Quand les listes de titres valides et de titres annulés seront-elles publiées?
En 2003, les experts de la Banque ont rapporté qu’en République démocratique du Congo, seuls 29 % des forestiers imposables pour la taxe de superficie l’ont payée cette année-là. Le staff report du FMI pour le Gabon cite des problèmes dans la collecte de la fiscalité forestière comme un des deux facteurs responsables d’un déficit de 25 milliards de FCFA en revenus hors pétrole en 2003.
[...] Le paiement par les forestiers des impôts dus en taxe de superficie et en taxe d’abattage, introduites en 2003, restait en deçà des projections, parce que les collectes ne commençaient qu’au dernier trimestre 2003 ; du côté positif, celles-ci se sont montrées en hausse depuis octobre. (p. 11) (nous soulignons)
L’autre raison donnée pour le déficit en 2003 des revenus hors pétrole est que :
L’amélioration attendue dans la collecte de l’impôt sur les bénéfices ne s’est pas produite, parce que la société de manganèse, la COMILOG, a rechigné au paiement des arriérés fiscaux [...]. (p. 11)
Ce passage laisse clairement entendre que, tandis que le gouvernement a rencontré une résistance fiscale de la part de la Comilog, il n’en a rencontré aucune de la part du lobby forestier. Ceci est faux. Après qu’une délégation des forestiers mécontents ait été reçue par le président Bongo en avril 2003, la taxe de superficie s’est vue subitement réduite de 1 000 FCFA/ha à 600 FCFA/ha. Il ne nous apparaît pas clairement comment cet épisode, largement rapporté dans la presse, a pu échapper à l’attention des auteurs du staff report. Mais, enfin, la poursuite d’une collecte efficace des impôts forestiers n’est guère synonyme de poursuite de l’éradication du néo-patrimonialisme forestier. Au contraire, les élites d’un régime sont souvent parmi les forestiers les plus capables de respecter leurs obligations fiscales.
Comme nous l’avons dit, il est de notre avis qu’aucune des réformes annoncées par le FMI n’est censée augmenter la transparence. Il ne nous apparaît pas non plus clairement laquelle d’entre elles est censée donner l’impression de l’augmenter. Le mot « transparence » n’apparaît nulle part dans le volet forêt de l’Aide-mémoire de politique économique et financière du ministre de l’Economie. Le terme est utilisé, par contre, dans le communiqué de presse du 28 mai :
Les autorités accordent une priorité aux réformes en cours dans le secteur clé de la forêt. La préparation d’une lettre de politique du développement pour le secteur forestier confirme leur engagement envers les principes du développement durable et de la transparence en ce qui concerne la gestion des ressources forestières.
Si le terme « transparence » est absent du sommaire que contient le staff report des ces réformes (« Forestry Sector Reforms Under Way »), il réapparaît dans un sommaire préliminaire de ce sommaire :
Une réforme globale du secteur forestier est en cours d’exécution avec l’assistance de la Banque mondiale [...]. Les objectifs principaux de la réforme [sont] l’augmentation de la contribution du secteur à la valeur ajoutée, tout en renforçant l’adhésion aux principes du développement durable, en assurant la transparence dans l’attribution des permis forestiers ainsi qu’une meilleure fixation du prix d’une ressource rare. Une réforme à fond de la SNBG est aussi un élément clé du programme. (p. 24)
Ce passage suggère que la transparence du secteur sera améliorée, au moins en partie, en « assurant » la transparence dans l’attribution des concessions. Le rapport affirme qu’ « un système d’appels d’offres sera établi pour l’attribution des nouvelles concessions […] et qu’aucune nouvelle concession ne sera attribuée avant la finalisation de ce système ». (p. 25)
Au Cameroun, l’attribution des concessions forestières par appels d’offres a été introduite en 1997.
10. Depuis lors, quel pourcentage de la forêt « productive » de ce pays a-t-il été attribué, avec l’approbation de l’Observateur indépendant auprès de la commission interministérielle d’attribution des concessions forestières, aux sociétés qui ne sont pas associées à un membre de la famille présidentielle, à un général de l’armée, à un maire, à un député, ou à un haut responsable du parti au pouvoir ?
En République démocratique du Congo, un gel de toute nouvelle attribution des titres forestiers a été parmi les plus urgentes des premières recommandations de la Banque mondiale au gouvernement de Kinshasa en 2002. Adopté officiellement en mai 2002, ce moratoire a été violé deux semaines plus tard. En tout, au moins 6 millions d’hectares ont été attribués depuis « l’adoption » de cette mesure.
11. Quand le système gabonais d’appels d’offres sera-t-il finalisé, et combien de concessions sont programmées pour attribution ou ré-attribution avant cette date?
On constate que chacune des cinq mesures de « gestion durable » énumérées dans l’encadré « Forestry Sector Reforms Under Way » se conjugue au futur : « Un plan d’action sera adopté […] », « Les petites concessions seront regroupées […] », « Un système d’appels d’offres sera établi […] », « […] La réglementation sera renforcée [...] », « Une carte des concessions sera finalisée […] ». (p. 25) (nous soulignons)
12. En quoi ces réformes futures étaient-elles « en cours » ?
L’Accord de confirmation semble supposer, sans proposer de justifications, que ce qu’il appelle « le développement durable et la transparence » sont au moins compatibles avec ce qu’il appelle le rôle « crucial » du secteur forestier dans la croissance du PIB hors pétrole (p. 7) – croissance sur laquelle il affirme que le succès du programme du gouvernement répose « entièrement » (« crucially »). (26) Il quantifie cette dépendance ainsi :
[...] Si le taux de croissance du secteur non pétrolier est supérieur à deux pour cent de moins que prévu dans le scénario de base, l’analyse de viabilité de la dette montre que [le rapport de] la dette [extérieure au PIB] deviendrait non viable. (26)
A notre avis, l’expansion de l’exploitation forestière et l’augmentation de la transparence sont deux objectifs contradictoires plutôt que complémentaires. Nous doutons que la poursuite du premier objectif dans des conditions d’opacité – ce qui poserait un obstacle évident au développement durable – soit apte, non plus, à contribuer à la simple croissance économique à longue échéance. En tout cas, la rentabilité de ce secteur forestier « crucial » dépend, elle, de la préservation du statu quo.
Le directeur du groupe Vicwood, la plus grande société forestière active au Cameroun, a exprimé ce dernier point avec éloquence dans une récente interview. Bruno-Charles Doinet a déclaré :
Les gouvernements nous demandent beaucoup. Ainsi, au Cameroun, véritable laboratoire du Bassin du Congo, plus aucun forestier ne peut encore gagner sa vie de façon honnête. On est en train de faire partir les forestiers sérieux qui iront vers d’autres pays mais ces pays voudront aussi, peut-être, copier la façon de faire du Cameroun.
Une croissance hors pétrole insuffisante est le deuxième des deux « risques majeurs » qu’identifie le staff report du FMI. Le premier risque est de nature politique :
Le programme est sujet aux risques majeurs. Il y a eu une tendance à assouplir la rigueur fiscale à l’approche des élections ; avec des élections présidentielles programmées pour fin 2005 les risques pour le programme fiscal sont donc augmentés ; l’imminence des élections pourrait aussi affaiblir la détermination à mener à bien les réformes structurelles. [...] Dans le domaine structurel, le programme comporte une concentration considérable en début de programme des mesures de privatisations, puisque celles-ci risquent d’être difficiles dans une période préélectorale. (pp. 26-7) (nous soulignons)
Tandis que le calendrier d’application de l’Accord de confirmation montre bel et bien une importante concentration en début de programme des critères d’exécution et des repères en ce qui concerne la privatisation, il ne comporte qu’un seul indicateur portant sur le secteur forestier, bien que celui-ci constitue « une priorité » (p. 70) dans les réformes structurelles. Pour ce qui est de « l’adoption d’un plan d’action pour rationaliser la SNBG », l’opinion qu’elle représente plus une mesure de privatisation qu’une mesure de réforme forestière nous semble tout à fait défendable.
13. Pourquoi « l’imminence des élections » mettrait-elle en péril les mesures de privatisation et pas les réformes forestières ?
Au moment de la rédaction du staff report, les autorités gabonaises n’avaient pas encore présenté « la lettre de politique de développement pour le secteur forestier » qu’elles étaient en train de préparer « en consultation avec la Banque mondiale ». (p. 70) Ce texte a été adopté en Conseil des ministres le 18 mai, le lendemain de la mise en circulation du staff report. Un Supplément au staff report daté du 25 mai 2004 indique que la lettre présentée « contient les composantes clés des réformes souhaitées par la Banque mondiale ». Nous constatons que la première réforme listée dans le staff report – « Un plan d’action sera adopté pour soumettre la totalité du domaine forestier […] aux plans d’aménagement durable avant fin 2005 » (p. 25) – cette réforme a disparu de la version révisée que contient le Supplément.
Le Supplément fait savoir qu’
On s’attend à ce que la lettre soit renforcée encore dans le contexte de la préparation du projet Forêt et Environnement en coopération avec la Banque mondiale et d’autres bailleurs de fonds, dont la finalisation est attendue pour avant fin 2004.
14. Renforcée encore de quelle manière?
L’histoire récente de la participation de la Banque mondiale à la réforme du secteur forestier gabonais nous donne peu d’espoir que le projet en préparation promouvra effectivement la transparence du secteur. Le Projet Forêt et Environnement (PFE) que la Banque a conduit au Gabon entre 1992 et 2002 est ainsi décrit dans le staff report du FMI :
En juin 2002 la Banque a achevé un projet de dix ans d’une valeur de 22,5 millions de dollars censé améliorer la gestion et la protection des ressources forestières et environnementales du Gabon. Le projet visait l’application et le renforcement des politiques gouvernementales en matière de foresterie et d’environnement, ainsi que le renforcement de la capacité de programmation et d’opération des institutions gouvernementales et des organisations non-gouvernementales locales (ONG). (p. 86)
En décembre 2002, la Banque a évalué son PFE dans un Implementation Completion Report (#24900) de 35 pages.
15. A quel moment l’Implementation Completion Report fait-il allusion aux ONG locales ?
Le staff report du FMI enchaîne :
Un nouveau programme [de la Banque] dans le même secteur est en cours de préparation pour présentation au Conseil durant l’exercice 2005. Ce programme s’appuie sur les leçons apprises [...] et compte élargir ses objectifs en atteignant un plus grand nombre de bénéficiaires, en attirant des investissements dans […] le secteur forestier […] et en aidant ainsi le gouvernement dans ses efforts pour diversifier l’économie gabonaise […]. (p. 86)
Nous constatons que 31 des 46 permis forestiers dont nous désignons ci-dessus les détenteurs ont été attribués au cours de la période de dix ans de mise en œuvre du PFE. Nous estimons exacte la remarque de la Banque selon laquelle son programme « convenait parfaitement aux priorités du gouvernement ». (24900: p. 16) En effet, le fait qu’un programme de « réformes » de cette ampleur ait pu exclure de façon si flagrante toute initiative visant à une augmentation de la transparence nous pousse à nous demander si son but n’était pas justement de faire barrage à de telles initiatives.
L’Implementation Completion Report est lui-même très critique envers le projet. Après dix ans, l’impact du PFE sur le renforcement des capacités institutionnelles était seulement « modeste » (p. 11) – des responsables du Ministère des Eaux et forêts ont été pourvus « des bureaux, du logement et des véhicules en l’absence de formation destinée à l’amélioration […] du monitoring et du contrôle […] » ; en 2002, il était « presque certain que […] le renforcement de l’administration […] ne se poursuivra[it] pas sans nouveau projet ». (p. 14) Les auteurs remarquent que « Le PFE a fait une petite contribution au cadre réglementaire, mais celle-ci est plutôt sujette à discussion. […] La loi [sur l’Environnement] a en effet été adoptée en 1993, mais son premier décret d’application n’est arrivé qu’en 2002 ». Une annexe au rapport indique que le premier décret d’application était aussi le dernier. (p. 23) A l’achèvement du projet, un seul des dix projets de décret avait été adopté.
L’évaluation de la Banque estimait que la contribution du PFE à la formation forestière, le deuxième objectif du projet, serait viable « uniquement si un autre projet [venait] appliquer la réforme proposée ». (p. 15) La contribution du PFE à la recherche forestière – malgré « l’achat des placards de conservation pour l’herbier national » (p. 9) – a été jugée « non satisfaisante » (p. 9) et « inviable », les investissements approuvés « insuffisants et fragmentaires ». (p. 15) Les progrès effectués par le projet, sur dix ans, pour la création des aires protégées ont été notés « non satisfaisants ». (10)
Nous ne comprenons pourquoi, en dépit de ces critiques, l’étude de la Banque a néanmoins conclu que « Le PFE est un bon exemple d’un projet à problèmes devenu projet à succès ». (p. 20) L’auteur du rapport, Jean-Christophe Carret, félicite l’équipe de la Banque pour sa « vision » de « l’importance économique, écologique et sociale de la forêt » et d’avoir « communiqué efficacement cette vision au-delà du Ministère, à travers tout le pays et la sous-région, en établissant et en mettant en œuvre un plan de communication, et en utilisant les médias disponibles […] ». (p. 21) Notre souci est justement qu’en ce qui concerne la réforme forestière dans le Bassin du Congo, la Banque a toujours préféré les relations publiques au concret.
Il est vrai que le Projet Forêt Environnement comportait un “objectif secondaire” (p. 7) que la Banque, rétrospectivement, n’a pas jugé être un échec : la partie « aménagement durable » de la composante, d’une valeur de 4,06 millions de dollars, appelée « Aménagement forêts naturelles et plantations ».
Si « l’impact » de ce projet-pilote a été « un peu moins important que prévu », le rapport affirme que « tout de même, le plan d’aménagement produit par le PFE dans la première zone a été vendu à un opérateur forestier en 2000 par l’administration forestière, et donc n’a pas été produit en vain ». (p. 7)
Deux pages plus loin, ce jugement est réitéré avec une qualification curieuse :
[...] 250 000 hectares du plan d’aménagement dans l’Estuaire sud ont été réalisés en 1999 (le plan d’aménagement produit par le PFE a été vendu à une société privée. Pourtant, son prix de vente n’est pas connu officiellement) […]. (p. 9) (nous soulignons)
Deux ans auparavant, dans son étude « Réformer la fiscalité forestière au Gabon: Les constats de départ » l’auteur du rapport de la Banque a été plus explicite :
[...] L’Industrielle et Forestière du Komo (IFK), entreprise récemment créée par le groupe Sogafric spécialisé dans l’importation de matériels industriels au Gabon, a obtenu un permis de 200 000 hectares doté d’un plan d’aménagement durable réalisé par l’Etat grâce à un prêt de la Banque mondiale. (p. 5)
Dans sa discussion sur la difficulté, à l’époque où il écrivait, d’estimer le coût des plans d’aménagement au Gabon, M. Carret affirmait :
On ne peut en effet retenir le coût de réalisation du plan d’aménagement durable d’IFK, beaucoup plus élevé [que celui du plan d’aménagement de la CEB], celui [d’IFK] ayant été conçu dans le cadre d’un projet-pilote du Projet Forêt-Environnement (PFE). De plus, le montant de la transaction entre l’administration forestière et l’entreprise est resté confidentiel, le permis forestier n’ayant pas fait l’objet, comme le recommandait la Banque mondiale, d’une offre publique d’enchères. (p. 7)
16. Pourquoi l’évaluation de la Banque n’a-t-elle pas fait état de cette recommandation, et de son refus par l’administration gabonaise?
17. Pourquoi le montant de ce contrat public n’est-il pas « connu officiellement » et quand le sera-t-il ?
18. En quelles circonstances le plan d’aménagement PFE a-t-il été vendu à IFK ?
Les remarques de M. Carret laissent entendre que l’attribution de la concession à IFK et la vente du plan d’aménagement sont intervenues au même moment.
19. A quelles autres sociétés la concession et / ou le plan d’aménagement ont-ils été proposés?
L’Implementation Completion Report comporte peu de détails concernant l’investissement en question. « La mise en œuvre d’un plan d’aménagement pour 40 000 hectares d’Okoumé naturel dans les 275 000 ha du massif forestier dans la localité du village de Foulenzem » comprenait « un inventaire de la faune et de la flore sur 6 % de la zone forestière ; l’exécution des opérations sylvicoles ; des services de conseil ; la construction des bureaux et des logements pour des agents et des stagiaires au village de Foulenzem ; et l’acquisition des véhicules et du matériel ». (6)
20. Qui utilise aujourd’hui les véhicules achetés par la Banque?
Dans un discours donné en février 2001 sous le titre « Aménagement durable des forêts du Gabon » Gabriel Azizet, directeur général des Eaux et forêts du Gabon, fait allusion à
une CFAD [Concession forestière sous aménagement durable] de 200.000 ha dont le plan d’aménagement a été réalisé par le Projet Forêt Environnement (prêt Banque Mondiale) sur 270.000 ha et attribué à la Société IFK (Société gabonaise).
Dans son texte de septembre 2000, M. Carret affirme que la concession d’IFK couvre 200 000 ha ; la superficie du plan d’aménagement n’est pas spécifiée. Dans l’Implementation Completion Report de 2002 il affirme, page 9, que le plan d’aménagement couvre 250 000 ha. Le même rapport spécifie, page 6, que le plan d’aménagement ne couvre que 40 000 ha. Gabriel Azizet affirme que le plan d’aménagement couvre 270 000 ha.
21. Quelle est la superficie de la concession d’IFK et celle couverte par son plan d’aménagement?
22. Quel pourcentage du bois produit par IFK provient de sa forêt « sous aménagement durable », et quel pourcentage du reste de sa forêt?
Il serait pour nous un vrai défi de nommer une société forestière plus étroitement liée à la famille présidentielle et à son entourage que l’est IFK. Comme M. Carret le remarque en passant, la société est une filiale de la Compagnie du Komo / Sogafric, le groupe industriel multisectoriel le plus important du Gabon.
La Compagnie du Komo, contrôlée par les intérêts français, détient 25 % de la Banque gabonaise et française internationale (BGFIBANK), dont le président du Conseil d’administration, Patrice Otha, est aussi le directeur de cabinet adjoint du président Bongo. En 2000, la BGFIBANK a racheté pour une somme non communiquée à la presse les actifs gabonais et congolais de la tristement célèbre Banque française intercontinentale (FIBA), la banque au cœur de l’affaire Elf. La liquidation de la FIBA en 2000 est intervenue après que les magistrats français et suisse aient révélé son implication dans le blanchiment d’argent et le trafic d’armes au bénéfice de nombreux dictateurs africains.
Outre Christian Kerangall et Robert Boutonnet, respectivement le PDG et le co-fondateur de la Compagnie du Komo, les dix administrateurs de la BGFIBANK comprennent Pascaline Bongo (la fille et directrice de cabinet du président), Christian Bongo (un des fils du président), Richard Onouviet (ministre des Mines et ancien ministre des Eaux et forêts (1999-2002)), et Jean Ping (ministre des Affaires étrangères, président de session actuel à l’Assemblée générale de l’ONU). Le directeur général de la BGFIBANK, Henri-Claude Oyima, qui est un petit-neveu du président Bongo, est président de la Confédération patronale gabonaise, dont Christian Kerangall est secrétaire général. En 2003, la BGFIBANK a déclaré un bénéfice de 8,3 milliards de FCFA.
Henri-Claude Oyima est le seul membre gabonais du conseil d’administration de la Komo. Le site web d’IFK indique que « les dirigeants » de la BGFIBANK ont visité sa concession en mai 2001, en compagnie de l’ambassadeur de France et du directeur général de l’Agence française de développement (AFD). Ce dernier a rendu visite à la concession à trois reprises en moins de trois ans.
Le staff report du FMI de mai 2004 identifie « l’exposition élevée » des banques gabonaises aux sociétés forestières comme une des « faiblesses clés » du secteur financier. (p. 21) Il affirme également :
Les banques se sont montrées réticentes à accorder de nouveaux prêts au secteur forestier, après une rapide augmentation des crédits dans les années récentes pour financer de nouveaux investissements, avec pour conséquence un bond des créances douteuses, au fur et à mesure que les opérateurs les plus faibles se trouvaient en difficulté. Pourtant, la restructuration d’envergure et la fusion des sociétés actuellement en cours seraient probablement suivies par une reprise des crédits au secteur pour financer des initiatives nouvelles. (p. 9)
23. Quel financement de la BGFIBANK IFK a-t-elle reçu pour ses « initiatives » forestières depuis sa création en 2000 ?
Henri-Claude Oyima est le président et Christian Kerangall un membre du Club de Libreville, un groupement des principaux créanciers du gouvernement gabonais récemment créé. En février 2004, le ministre de l’Economie a accepté de rembourser les membres du Club de Libreville avant les autres créanciers privés de l’Etat, et d’accorder des crédits d’impôts en cas de non-paiement. Les membres du Club de Libreville, pour leur part, se sont engagés « à ne pas transférer à l’étranger, pendant au moins un an, les sommes reçues de l’Etat en règlement de ses dettes ».
Le staff report du FMI estime que « les accords de dette conventionnelle aux fournisseurs » atteignaient 21,2 milliards de FCFA en 2003. (p. 20)
24. Quel pourcentage de cette dette était détenu par la Compagnie du Komo?
Les liens de la Compagnie du Komo avec la famille présidentielle vont au-delà de son rôle dans la co-gestion de la banque de la famille présidentielle. Christian Bongo, un des fils du président et ancien directeur général adjoint de la SNBG, a été directeur général adjoint de l’Union gabonaise de banque (UGB) (groupe Crédit Lyonnais) quand, en 2000, celle-ci était arrangeur d’un financement d’une valeur de 5 milliards de FCFA à la Compagnie du Komo pour la « mise en valeur d’une concession forestière pour une gestion durable ».
En décembre 2002, Christian Bongo a été nommé directeur général de la Banque gabonaise de développement (BGD). En 2003, la BGD a accordé à l’IFK un prêt financé par l’AFD d’une valeur de 519 millions de FCFA. L’interlocuteur principal du Club de Libreville, Blaise Louembé, le trésorier payeur général, est un administrateur de la BGD.
Depuis juillet 2001, Christian Bongo est président du conseil d’administration du Transgabonais, qui dépend largement de l’industrie forestière. La Compagnie du Komo en est un actionnaire de longue date.
L’exploitation forestière d’IFK n’est qu’une des activités forestières de la Compagnie du Komo. Sa filiale, la Société gabonaise industrielle (SOGI), fabrique des grumiers utilisés au Gabon, Congo-Brazzaville, Cameroun, et Guinée équatoriale. En 1998 elle en a livré 30 à la société malaisienne Bordamur. Elle a aussi construit la charpente de plusieurs unités de transformation du bois, y compris celles de Bordamur, de la CEB-Thanry, et de la CEMA.
Compagnie du Komo a récemment racheté la Forestière des bois d’Azingo (FBA), une filiale du holding à capitaux français Lipart. En 2000, la société soeur de la FBA, Menuiserie des bois d'Azingo (MBA), s’est vue attribuer un contrat d’une valeur de 450 millions de FCFA pour la réhabilitation du rez-de-chaussée du siège de la SNBG. Les travaux comportaient l’installation d’un système de sécurité « inédit dans le pays » ainsi que d’une infirmerie. Holding Lipart est le leader au Gabon dans l’importation de matériels de sécurité et de matériel biomédical.
26. Pourquoi la Compagnie du Komo a-t-elle racheté la FBA?
Les filiales non-forestières de la Compagnie du Komo sont d’importants fournisseurs du gouvernement gabonais. Sogafric Froid domine le marché régional de la climatisation; le palais présidentiel du Gabon est parmi les nombreux bâtiments publics gabonais qu’elle a équipés.
En janvier 2002, le bulletin “Ensemble” (#14) que diffuse la Compagnie du Komo a rapporté les informations suivantes :
Nos 3 sociétés, Electra, Sogafric Froid et Sogi, sont intervenues dans leurs secteurs de compétences respectifs pour la réalisation du nouveau Ministère des Eaux et Forêts. Electra a fourni et installé 200 bureaux et plus de 500 fauteuils choisis à la carte, le mobilier du bureau du Ministre, la cafétéria et tous les sièges de l'auditorium. Ce marché est le plus gros jamais réalisé dans toute l'existence d'Electra et a mobilisé plusieurs personnes pendant plus de 5 mois. Sogafric Froid a fourni et installé la climatisation centralisée, la production d'eau glacée, le désenfumage et la ventilation [...]. Sogi pour sa part, est intervenue sans relâche jour et nuit pendant 3 mois pour réaliser la charpente métallique, toute la menuiserie aluminium et la vitrerie ainsi que les éléments décoratifs monumentaux qui ornent l'édifice. Félicitations à toutes nos équipes!
Jusqu’à récemment, la Compagnie du Komo contrôlait cinq concessions Mercedes en région parisienne. Par le biais de la Société financière des Ternes (SFT), elle possède 50 % du cabinet conseil informatique Artaud, Courthéoux et Associés (ACA), dont les clients, selon le site web de la société, comprennent « un équipementier du secteur de l’aéronautique » ainsi qu’« un groupe industriel international spécialisé dans le traitement des métaux précieux ». La filiale de la Compagnie du Komo Services on-line & systèmes informatiques (SOLSI) est le premier fournisseur d’accès internet et le créateur du site web du Sénat gabonais.
A Paris, la Compagnie du Komo possède une entreprise qui a pour nom Bureau technique d’approvisionnement (BTA) Services, qui exporte des machines à glace vers l’Angola.
27. Quelles sont les autres activités de cette entreprise ?
* Comme vous le savez, l’Accord de confirmation pour le Gabon a été critiqué pour son timing malheureux. Après des mois de blocage et le refus en septembre 2003 d’un Mécanisme élargi de crédit, le Conseil d’administration s’est trouvé approuver l’Accord deux jours après une visite du président Bongo à la Maison blanche. Certains ont vu la décision du FMI comme une récompense offerte par l’administration Bush au régime Bongo pour avoir accepté l’ouverture d’un bureau de la Defense Intelligence Agency à Libreville, et avoir récemment adopté des positions pro-Washington sur la Cour internationale pénale, l’Irak et le Darfour. Washington a aussi été vu comme voulant s’insinuer dans les bonnes grâces d’Omar Bongo en anticipation de la présidence de session gabonaise à l’Assemblée générale de l’ONU. Peu après la finalisation de l’Accord, le Gabon a acheté quatre nouveaux Boeing pour 300 millions de dollars ; le FMI s’est vu obliger de faire réduire la commande à un seul.
Le FMI semble aussi avoir été l’objet de pressions de la part de l’ambitieux ministre français des Finances, Nicolas Sarkozy pour approuver l’Accord. Bénéficier de la gratitude du président gabonais, dont l’ami et client le plus ancien de France – ou d’ailleurs – est le grand rival de M. Sarkozy, serait pour ce dernier un atout politique majeur.
La non utilisation par le FMI de la conditionnalité forestière semble bien cohérente avec une interprétation de l’action du Conseil d’administration qui la suppose guidée par des considérations politiques. A notre avis, l’octroi dans un contexte préélectoral d’une assistance de balance des paiements qui laisse intacte la fonction néo-patrimoniale du secteur forestier ne peut guère être compté comme un geste politiquement neutre. Il nous semble, au contraire, être un feu vert à la politique qui, après 37 ans, garde le régime actuel au pouvoir et 62 % des Gabonais sous le seuil de pauvreté.
Bien qu’elle soit une source très précieuse de profits et de prébendes, l’industrie forestière gabonaise, âgée de 120 ans, a encore à démontrer son potentiel en matière de développement durable. Ceci n’est pas surprenant : elle n’y a jamais été obligée. Nous espérons que dans l’avenir le FMI et la Banque mondiale feront de cette obligation une condition de leur aide.
Nous attendons avec impatience votre réponse.
Veuillez agréer, Monsieur, l’assurance de mes meilleures salutations,
Arthur Paul
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