Dossiers et Opinions: Politique


La longue marche de Jackie-Mille-Encyclopédies.

Eternel Premier ministrable, Jean-François Ntoutoume Emane a enfin été designé par Omar Bongo. A un moment où les caisses de l'état sont vides et la situation sociale explosive...

Par Marc Perelman, Jeune Afrique.

Le 23 janvier, Jean-François Ntoutoume-Emane, 59 ans, est devenu Premier ministre du Gabon. Grand artisan de la réélection d’Omar Bongo à la présidence, au mois de décembre dernier, en tant que directeur national de campagne, il est ainsi récompensé de ses efforts. Enfin serait-on tenté de dire. Car ce Fang de l’Estuaire, poids lourd du Parti démocratique gabonais (PDG) et plusieurs fois ministre depuis 1986 (Aviation civile, Commerce), attendait ce moment avec impatience.

Il avait cru, une première fois, en ses chances en 1990, après avoir battu l’opposant historique Paul Mba Abessole aux législatives, dans le cinquième arrondissement de Libreville. Mais Bongo avait choisi de reconduire Casimîr Oyé Mba. Ntoutoume-Emane n’avait obtenu que le ministère du Contrôle d’Etat, de la Décentralisation et de l’Aménagement du territoire. Vexé, il avait refusé le poste et n’avait siégé dans aucun des quatre gouvernements Oyé Mba, entre 1990 et 1994. Il était revenu sur le devant de la scène après les graves incidents qui suivirent l’élection présidentielle de décembre 1993. C’est lui, en effet, qui avait été désigné par Bongo pour mener les négociations avec l’opposition. Celles-ci, on s’en souvient, débouchèrent, en octobre 1994, sur les accords de Paris, censés organiser la transition démocratique. Mais il avait dû se résoudre à abandonner le fauteuil de Premier ministre à Paulin Obame-Nguema. Décidant, cette fois, de faire contre mauvaise fortune bon coeur, il avait accepté un ministère d’Etat, celui de l’Habitat, du Logement, de la Ville, chargé de l’Aménagement du territoire. Lors du remaniement de janvier 1997 consécutif aux élections législatives et locales, son nom avait, une nouvelle fois, été évoqué avec insistance, mais Obame-Nguema avait finalement été reconduit dans ses fonctions.

La quatrième fois a donc été la bonne. Son rôle de directeur national de campagne de Bongo lui a incontestablement servi de tremplin. Omniprésent dans les médias, intervenant dans les meetings juste avant le candidat Bongo, avec une verve communicative, il a, comme le dit un observateur, «mouillé le maillot ». A la mi-janvier, on a pourtant cru que le poste allait encore lui échapper, au profit, cette fois, d’Emmanuel Nzé-Békalé, le populaire directeur des ciments gabonais. Il a beau répéter qu’il ne s’attendait pas le moins du monde à sa nomination, il ne fait guère de doute qu’il aurait très mal pris un nouvel échec.

Jean-François Ntoutoume-Emane aime rappeler son brillant parcours universitaire. Certains, pour railler son ton volontiers professoral, l’ont d’ailleurs surnommé « Jackiemille-encyclopédies ». Mais il faut admettre que la liste de ses diplômes, tous obtenus en France, est impressionnante doctorat en sciences politiques, diplôme de troisième cycle en droit public, lauréat de la faculté de droit et de sciences économiques, licencié en lettres, etc. Si la qualité d’un Premier ministre se mesurait à la longueur de son curriculum vitae, nul doute que le Gabon aurait trouvé l’homme de la situation...

Marié à une Camerounaise, le nouveau Premier ministre est père de sept enfants et de deux enfants adoptifs. Verbe haut et aspect massif, c’est un grand amateur de balades àpied sur la plage. De l’avis général, il doit sa nomination moins à ses compétences qu’à sa fidélité sans failles au chef de l’État, dont il fut le conseiller personnel dès 1976. Même s’il a occupé des ministères plutôt techniques et si son rôle a avant tout été, dans le passé, celui d’une éminence grise, il n’hésite jamais à exprimer son opinion. «Il adore ça, note un journaliste qui le connaît bien. Il sera forcément plus en vue que son prédécesseur. On devrait enfin avoir un vrai chef de gouvernement au Gabon.»

Ce que réfute, par avance, l’opposition. Le père Paul Mba Abessole, chef du Rassemblement national des bûcherons (RNB), n’est pas tendre: «Il n’a aucune existence politique. Partout où il a été chargé de la gestion, ça a été la catastrophe. Ntoutourne, c’est de la parlotte. » «C’est incontestablement un grand rhétoricien, un beau manieur de concepts, mais il n’a pas la réputation d’un bâtisseur », confirme un journaliste.

Son bilan ministériel au logement et à l’habitat, un domaine ô combien sensible dans l’opinion, est mitigé. Il n’est notamment pas parvenu à tenir sa uromesse de construire trois mille logements sociaux par an. C’est sans doute pour tenter de combler cette lacune qu’il a choisi de conserver le portefeuille du logement. Le nouveau Premier ministre a d’ailleurs annoncé que "l'éradication des problèmes sociaux » serait la priorité de son gouvernement.

Et ils ne manquent pas. Grève des fonctionnaires, manifestations violentes, agitation estudiantine et lycéenne, Libreville vit des jours agités. Le problème, selon un économiste, c’est que, cette année, «les caisses sont vraiment vides ». Conséquence de la baisse des cours du brut — ils ont atteint leur plus bas niveau depuis vingt-cinq ans —‘ les recettes de l’Etat sont officiellement inférieures de 15 % aux prévisions. Du coup, le budget 1999 a été établi sur la base d’un baril à 13 dollars (contre 19 dollars en 1998), une prévision jugée par beaucoup encore trop optimiste. A cela s’ajoute la crise de la « filière bois », frappée de plein fouet par la récession en Asie, son principal marché d’exportation. Le nouveau gouvernement va donc se heurter à des difficultés pour satisfaire les exigences des manifestants ou des grévistes. Soit il décidera de le faire, au risque de sacrifier l’avenir au présent, soit il serrera la vis, au risque de détériorer un peu plus encore le climat social.

Interrogé par JA. pendant la campagne électorale, Ntoutoume-Emane expliquait: «On ne peut pas ne pas être inquiets, car nous sommes confrontés à de sérieuses difficultés financières. Mais une crise est par définition passagère. Elle nous oblige à réfléchir, à réformer notre économie, àmieux la gérer. » Il lui reste à mettre ses actes en harmonie avec ses paroles.

D’autant que dans l’opinion, un sentiment de déception tend à prévaloir. «Les gens s’interrogent: où est le changement annoncé par Bongo ? Ntoutoume est l’un des principaux caciques du régime, et son gouvernement ressemble étrangement au précédent », commente un bon connaisseur de la vie politique locale (voir encadré). Jackie-mille-encyclopédies devra puiser dans toutes les ressources de sa science pour convaincre les Gabonais qu’il est capable d’engager les réformes dont le pays a tant besoin.

Voir Jeune Afrique, 2-8 février 1999, p.32-34.


Ali Ben Bongo: Le retour

Par Marc Perelman
Jeune Afrique, 2-8 février 1999, p.34.

Le gouvernement nommé par JeanFrançois NtoutoumeEmane n’est pas franchement marqué du sceau de la nouveauté. Mais il y en a tout de même une de taille: le retour d’Ali Ben Bongo, le fils du président. C’est la premiére fois depuis huit ans qu’il siège dans un gouvernement. Il hérite du poste sensible de ministre de la Défense, en lieu et place du général ldriss Ngari, qui doit se contenter du ministère des Transports et de la Marine marchande. Nommé ministre des Affaires étrangères en 1989, Ail Ben Bongo était, àl’époque, le leader des « réformateurs » du PDG, favorables à une démocratisation du pays et à un plus grand rôle pour les jeunes. Ce courant joua un rôle important dans la tentative de transition démocratique, on 1990. Mais, un an plus tard, Ah Bongo a été remplacé en vertu d’un article de la Constitution fixant à 35 ans l’âge minimal pour être ministre. Les rénovateurs furent peu à peu mis à l’écart des gouvernements et se divisèrent. Ah Ben Bongo se concentra alors sur les scrutins de 1996, dans sa province natale du Haut-Ogooué, où il disputa la suprématie régionale au général Ngari, celui-là même qu’il vient de remplacer.

Il est encore difficile de savoir quels sont les tenants et les aboutissants de ce retour. Ce qui est sûr, c’est qu’il s’agit d’un désaveu pour Ngari, et que le président Bongo a voulu placer un homme de confiance à la Défense, à un moment où plusieurs pays voisins sont àfeu et à sang, et où l’agitation sociale est de plus en plus forte. C’est aussi une façon pour lui de manifester son souci de préparer sa succession. Pour le reste, le nouveau gouvernement, composé de quarante-deux membres (contre quarante pour le précédent), rassemble les principaux barons du PDG. « On annonçait un gouvernement plus jeune et plus restreint: on ne peut pas dire que ce soit le cas », Commente un diplomate. La plupart des ministres ne font, en fait, que changer de portefeuille. C’est notamment le cas du Premier ministre sortant, Paulin Obame-Nguéma, qui a atterri à la Santé publique. « Ça ressemble étrangement à un jeu de chaises musicales, entend-on à libreville. Cela donne la mauvaise impression que rien ne change et que le pays est toujours dirigé par les hommes du sérail.»

Dans son message de voeux à la nation, le 31 décembre, Omar Bongo avait pourtant souhaité un gouvernement inventif, dynamique et de combat ». Or les innovations sont minces. On note, tout au plus, la création d’un poste de vice-Premier ministre (et ministre de la Justice), attribué à Emmanuel OndoMethogo, un ancien « refondateur » du PDG. Plus intéressant, l’arrivée de deux banquiers: Émile Doumba, ex-directeur de la Banque internationale de commerce et d’industrie du Gabon (Bicig, une filiale de la BNP), devient ministre de l’Économie et des Finances, tandis que Richard Onouviet, un ancien de la Banque gabonaise de développement, obtient le portefeuille des Eaux et Forêts, et de la Pêche. Par ailleurs, des strapontins ont été accordés àcertains partis qui ont soutenu Bongo lors de la présidentielle. Noël Mboumbou-Ngoma, le président de l’Alliance pour la démocratie et la république (Adere), le parti du vice-président Didjob Divungui Di Ndingue — qui a d’ailleurs été reconduit dans ses fonctions -, hérite ainsi du portefeuille de l’Agriculture. Quant à Paul Biyoghe-Mba, le président du Mouvement commun de développement (MCD), il devient ministre des Petites et Moyennes Entreprises. Mais l’ouverture a ses limites: aucun ministre n’est issu de l’opposition, qui a refusé la "main tendue" par Bongo après les élections. Et les ténors du gouvernement sont tous des "pédégistes". Bref, c’est le changement dans la continuité.