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Bongo, les étudiants et l'impasse d'une politique du pansement non asceptisé. Par Daniel Mengara Les médecins le savent: soigner un abcès infecté en n'y appliquant qu'un pansement non-asceptisé ne peut mener à l'élimination de l'infection. Ce que les médecins compétents recommandent donc dans ce cas c'est non seulement une incision profonde dont le but est de vider l'abcès du pus qui s'y trouve, mais aussi l'application d'un pansement asceptisé qui préviendra d'ultérieures infections. En sus d'un tel traitement de choc, le bon médecin recommande souvent une prise d'antibiotiques capables d'éliminer et de prévenir de futures infections. Le "médecin" que Bongo aura été pour le Gabon en trente et une années d'exercice n'aura en fait été qu'un imposteur dont l'incompétence notoire aura mené le Gabon à l'infection dont le pays souffre aujourd'hui. De quoi est faite cette infection? Il est impossible, en quelques lignes, de répondre à une telle question. L'infection dont le Gabon souffre est tellement généralisée, tellement vaste qu'elle demanderait aujourd'hui des années de soins intensifs pour être totalement diagnostiquée, puis guérie. Depuis 31 ans, cette infection ronge le Gabon comme un SIDA cancerigéné, à petit feu. Un diagnostic préliminaire peut cependant permettre de dégager des constats malheureux. La légitimité du pouvoir de Bongo est plus que jamais à mettre en doute: les grèves étudiantes de janvier 1999 sont là pour démontrer aux Gabonais et à tous ceux qui observent notre pays que Bongo ne mérite plus de diriger notre pays. Le fait que le premier mois d'une réélection programmée ait été salué par une grogne sociale de l'ampleur de celle que connaît actuellement le Gabon est significatif: les Gabonais ne veulent plus de Bongo et ne lui font plus confiance. L'humiliation de Bongo est évidente: alors que seulement sept malheureux chefs d'états dictateurs auront accepté de venir à son intronisation, le jour même de la énième investiture du roitelet Bongo a été salué par un corps étudiant qui, du primaire au lycée, et du lycée à l'université, a voulu lui signifier son ras-le-bol. Une honte pour un président qui, depuis plus de trente ans, se voile la face en refusant de reconnaître que le peuple gabonais, comme il l'avait fait avec le dictateur Léon Mba, ne l'a jamais vraiment porté dans son coeur. Le fait même qu'en ce mois ô combien mouvementé, Bongo ait, une fois de plus, envoyé son armée torturer des étudiants désarmés demeure la flagrante preuve d'un pouvoir aux abois qui a râté sa reconversion démocratique. Bongo n'a pas supporté cette humiliation et il a exprimé sa rage de la manière la plus sauvage possible. Le régime de Bongo n'a apparemment pas encore perdu le goût de la matraque, comme au bon vieux temps du monopartisme. C'est que Bongo a un plan: il compte de nouveau arracher aux Gabonais leurs libertés (d'expression, d'association, de manifestation, d'activisme politique, etc.) si chèrement gagnées. Les signes d'un retour au monopartisme pur et dur sont déjà là: censure des journaux d'opposition quand ceux-ci deviennent trop pointilleux, brouillage des télévisions ou radios d'opposants en période électorale, intimidations ou corruption d'opposants et, maintenant, exil des étudiants dans leurs villages. Le but? Bongo compte continuer à piller le Gabon en paix et il ne saurait souffrir la contradiction que ces "chenapans" d'étudiants et lycéens ne cessent de lui opposer de par des revendications qui, pour lui, n'ont ni queue ni tête. C'est que Bongo ne comprend pas la centralité et l'importance de l'éducation dans un pays qui désire se développer économiquement, politiquement, socialement et culturellement. Il a toujours vu les études et l'étudiant comme une entrave à ses visées monarchiques et à ses crimes (assassinats d'opposants, détournements des deniers publics, gestion pitoyablement incompétente et incontrôlée d'un pays mis à genoux, etc.). Ainsi, tandis que d'un coin de bouche Bongo proclamait le sacré de la jeunesse, de l'autre il la désacralisait, la profânait et la violait d'une main policière. Aujourd'hui, l'atrophie de l'éducation au Gabon est plus que chronique. Pourtant, les revendications des étudiants de 1999, pratiquement les mêmes qu'il y a dix ans jour pour jour, sont légitimes, sérieuses et claires. Ils veulent: 1) lachat dun matériel didactique conséquent 2) lacquisition dun outil informatique compétitif avec connexion internet. 3) louverture imminente du restaurant universitaire 4) ouverture dune véritable bibliothèque à la faculté de médecine 5) le remboursement des 12.000 Frs CFA qui leur ont été exigés pour les frais dinscription et pour la visite médicale (par le Centre National des Oeuvres Universitaires ou CNOU) Ce type de revendications veut dire que l'étudiant gabonais est plus que conscient des carences du système éducatif gabonais. Tout ce qu'il demande, c'est un minimum de ressources pouvant lui assurer les bases d'un apprentissage et d'un développement intellectuel décent. Le pouvoir ne le comprend pas comme cela. Comme lors du 17 janvier 1990, il a écrasé la génération de 1999 avec le poids de son armée de répression. Mais cela ne lui a pas suffi. Pour mieux montrer à ces étudiants l'intérêt sacré qu'il leur porte, il a décidé de les exiler dans leurs hâmeaux et, en fin de compte, de leur offrir l'année blanche en récompense. Mais bien sûr, Yaya Bongo! Bravo! Encore une fois, vous aurez eu un "zéro faute" bien mérité à la dictée gabonaise qui vous fut donnée au BAC français spécialement préparé pour vous par la France quand elle vous donna la chefferie gabonaise. L'on ne peut point s'étonner de la folie actuelle de Bongo. Elle lui est habituelle. Bongo, soyons-en sûr, ne comprend pas l'insondable ingratitude que lui montrent ces étudiants jamais satisfaits. Il ne comprend pas que le bilan de son action à la tête du pays est le pire que l'on puisse retrouver dans un pays avec autant de richesses que le nôtre. Il ne comprend pas que dans notre pays, tandis que lui s'engraisse entouré du marbre protecteur de son palais de la honte, notre peuple souffre de la manière la plus atroce: 1) Sur le plan de l'éducation, des 84,4% inscrits au primaire, seuls 26,3% de nos élèves atteignent l'école secondaire et seulement 2,5% l'université. De plus, aussi bien chez les chômeurs que dans la population active occupée, plus de 70% ont un niveau scolaire inférieur ou égal à la classe de 3ème. Résultat, sans un peuple suffisamment formé, le Gabon ne pourra jamais faire face aux défis qui nous attendent dans le troisième millénaire de la mondialisation qui se profile déjà à l'horizon. Ce que le manque de formation adéquate veut dire pour une économie comme la nôtre est que la croissance économique ne pourra jamais venir tant que les Gabonais ne seront pas adéquatement formés. Bongo semble s'être assuré d'un sous-développement permanent du Gabon, et il est satisfait. 2) En trente et une année de manne économique qui en ont fait le pays le plus riche de l'Afrique sub-saharienne, le Gabon n'a pas encore pu préparer l'après-pétrole en développant le secteur agricole qui, à lui tout seul, aurait pu permettre au pays de se soutenir économiquement de l'intérieur. A la place, Bongo a mené le pays à la dépendance d'une économie de rente assujetties aux impardonnables rigueurs caractéristiques des fluctuations monétaires internationales. Résultat, les revenus de l'état au niveau des exportations dépendent encore du pétrole à concurrence de 70-80%. Un pays qui travaille vraiment aurait, avec les moyens du Gabon, pu se doter de l'économie la plus forte du continent en diversifiant suffisamment ses domaines d'activités. Le Gabon en avait les moyens. 3) Sans pour autant leur reprocher leur esprit d'entreprisecar c'est de bonne guerre--l'on ne peut s'empêcher de noter que l'économie gabonaise est aux mains des étrangers: Libanais, Français, etc. Même le commerce informel est entre les mains de nos voisins ouest-africains. La production proprement gabonaise est totalement nulle parce que Bongo n'a jamais eu de politique économique capable de faciliter l'émergence de Gabonais dans les divers secteurs d'activité économique du pays. Notre peuple étant un peuple paysan, c'est chez les paysans que l'action économique aurait dû se concentrer, pour assurer le développement de l'agriculture. Malheureusement, les seuls gabonais qui profitent des opportunités économiques du pays sont ceux-là mêmes qui sont à la tête du pays (ministres, administrateurs, etc.). Lisez le livre de l'Américain Douglas A. Yates publié en 1996 (The Rentier State in Africa: Oil Rent Dependency and Neocolonialism in the Republic of Gabon. Trenton, NJ: Africa World Press, 1996.). Vous verrez la nature des dégâts causés par le système Bongo car selon l'auteur, le sytème Bongo, avec l'aide des ses maîtres français, aura non seulement créé pour le Gabon une économie de rente, mais aussi donné aux Gabonais une mentalité de rente. Cette mentalité, cette psychologie de rente inculquée aux Gabonais sur plus de trente ans d'incompétence gouvernementale, fait donc que ce sont les étrangers (multinationales comme ELF, Libanais, Ouest-Africains, etc.) qui font marcher l'économie gabonaise et non les Gabonais eux-mêmes. La production proprement Gabonaise est donc globalement inexistante dans pratiquement tous les domaines. Seuls nos paysans travaillent vraiment car, sans moyens, ils arrivent malgré tout à produire le manioc et les autres commodités qui sauvent le pays de la famine. Cependant, malgré cela, le Gabon doit importer pratiquement tout ce qu'il mange parce que pas grand chose n'est produit sur place. Même l'enseignement de nos enfants dans les lycées reste en grande proportion assuré par des professeurs étrangers. 4) A Libreville la capitale administrative, 80% de la population habitent dans des quartiers plus ou moins malfamés, parce qu'il n'y a aucune politique d'urbanisation viable. Libreville reste donc, en dehors de son bord de mer en pleine décripitude, une grosse cité bidonville qui, aujourd'hui s'est doublée du surnom de cité poubelle. Où est donc passé le sens de l'honneur chez Bongo? 5) Quand 83% de la population d'un pays vit en dessous du salaire minimum, quand 62% de cette même population vivote en dessous du seuil de pauvreté, tandis que 23% végète dans la pauvreté extrême, ne peut-on pas conclure à une incompétence des dirigeants qui ne peut que mener à l'instabilité généralisée dans le pays? . Mais ce n'est pas tout! Est-il acceptable que dans un pays riche comme le Gabon, 20% de la population de Libreville et de Port-Gentil vive en dessous du seuil de pauvreté absolue et que 25% vive en dessous du seuil de pauvreté relative? Quand on sait que le salaire minimum n'est que de 64.000 FCFA dans un pays béni par la richesse des dieux, comment peut-on encore aujourd'hui croire en la capacité de Bongo à bien gérer notre pays? 4) Quand une maladie comme l'Ebola surgit dans un pays, l'on doit se dire que la misère est très avancée dans ce pays et que l'état sanitaire y est des plus précaires! Au Gabon, malgré notre statut de pays le plus riche d'Afrique noire en termes de PNB (Produit National Brut), 95% de la population rurale et 57% des habitants de nos centres urbains sont encore sous soignés. Résultat: l'espérance de vie à la naissance reste très faible (seulement 53-54 ans en moyenne). Comment s'en étonner puisque le taux brut de mortalité (15,6/1000) et le taux de mortalité maternelle (600/100000) sont très élevés? Comment s'étonner qu'au Gabon, un enfant sur dix décède avant la puberté, que quand deux personnes naissent, il y en ait une autre qui meurt? 5) Comment s'étonner que le Gabon ne compte que 626 kms de routes bitumées sur les 7633 dont il dispose? La liste est longue, des malheurs qui sont tombés sur la tête du Gabon à cause de la gestion désastreuse que Bongo en a fait. Ainsi, quand la Banque Mondiale dit...
... le verdict est sans appel: Bongo doit partir. Il doit partir parce que la manne pétrolière dont le Gabon a joui depuis les années 70 n'a servi qu'à enrichir la classe politique gabonaise proche du pouvoir. C'est ainsi que le Gabon se retrouva avec non seulement la plaie béante de sa dette fixée aujourd'hui à plus de 70-80% de son PIB, mais aussi un système de clientélisme corrompu qui a mené le pays à la catastrophe politique, sociale, culturelle et économique. Il doit partir pour cause d'incompétence. Il doit partir parce que 31 ans de bongoïsme débridé nous suffisent amplement. Il doit partir si le Gabon se doit un jour de se remettre au travail. Il doit partir si le Gabon veut conserver quelque espoir de pouvoir, un jour, se reconstruire dans la paix d'une solidarité citoyenne et d'un esprit national retrouvés. Aujourd'hui donc, après trente années d'un pouvoir qui a construit sa renommée autour de pansements non asceptisés appliqués anarchiquement sur l'abcès gabonais, cet abcès menace désormais d'éclater au visage de Bongo, y répandant le pus infecté qui s'y était concentré depuis plus de trente ans. Evidemment, les bonnes habitudes acquises par Bongo ne semblent pas encore vouloir se perdre. Seulement, en gagnant les élections par la fraude, en censurant la liberté d'expression des Gabonais, en se maintenant au pouvoir par la force militaire, en envoyant la police tabasser nos pauvres et honnêtes étudiants, en renvoyant aujourd'hui les étudiants dans leurs villages, en fermant tous les établissements scolaires, en traînant les pattes devant les revendications syndicales et en réétablissant une dictature militaire dans notre pays, Bongo ne sait pas encore qu'il est en train de préparer le plat qui va mener à l'explosion sociale au Gabon. Les grognes actuelles risquent donc d'aller en s'amplifiant et de devenir incontrôlables. Elles ont, en elles, un potentiel destructeur qui peut mener le pays à une guerre civile que seul le départ de Bongo et un changement total de régime pourra éviter. Bongo s'entêtera-t-il à pousser notre peuple à bout? Seul un avenir très proche, mais désormais dangereux, nous le dira. Le réveil du peuple risque d'être très rude pour Bongo. Bientôt. Daniel Mengara Coordinateur, BDP-Gabon Nouveau |