Révélations: Corruption |
LES JUGES DE L'AFFAIRE ELF EN TERRE AFRICAINE (LA LETTRE DU CONTINENT n°326 du 01/04/99) Après une semaine en Afrique du Sud sur la piste d'Alfred Sirven, les juges Eva Joly et Laurence Vichnievsky vont-elles prendre goût au volet africain de l'affaire Elf ? Jusqu'à présent, les deux magistrates avaient soigneusement évité de mettre les pieds dans les affaires franco-africaines - au grand dépit de leur collègue suisse Paul Perraudin - pour ne pas se retrouver devant les grilles des Palais Au Cap, elles se sont notamment rendues chez Vito Palazzolo, un "condottiere" recherché par la police italienne, qui aurait été "en affaire" avec Alfred Sirven en Angola. Selon nos informations, ce dernier a d'abord passé quinze jours au Zimbabwe avant de se rendre en Afrique du Sud. Il avait d'autant moins besoin de se cacher qu'il disposait depuis trois ans d'un permis de résidence dans ce pays, obtenu sur l'intervention de l'homme d'affaires allemand Dieter Holzer. En l'espace de quelques semaines, l'insaisissable "Alfred" a également été aperçu dans deux autres capitales africaines: Yaoundé et Brazzaville. Deux pays où l'ancienne éminence grise de Loïk Le Floch-Prigent a également beaucoup d'amis. Dans la répartition des "tâches", avec André Tarallo, longtemps le vrai patron d'Elf en Afrique, Alfred Sirven avait justement "hérité" du Cameroun, du Congo (tendance Sassou) et de l'Angola (côté Unita avec le bureau de Londres), tandis que Tarallo "gérait" le Gabon, le Congo (tendance Lissouba) et l'Angola (côté pouvoir MPLA). Une simple répartition des risques... Comme à Paris, entre la droite et la gauche. Au Cameroun, Alfred Sirven montait des opérations d'achat de barters de pétrole avec des personnalités corses et un responsable du trading du groupe, encore en fonction. Au Congo-B, Alfred Sirven avait participé en 1991 à la préparation d'un coup d'Etat au profit de Sassou. La preuve ? Elle sort de la bouche même de Roland Dumas, qui a déclaré à des confrères du Nouvel Observateur: "C'est vrai que Christine (Deviers-Joncour, NDLR) est venue me raconter cela et que je lui ai dit de ne pas s'en occuper. C'était Omar Bongo qui voulait écarter Pascal Lissouba pour remettre son gendre Sassou Nguesso en selle. Vous vous souvenez ? Les armes transitaient par le Gabon !" Mazette... L'ancien ministre des Affaires étrangères étant "l'ami intime" d'Omar Bongo, comme le répète souvent ce dernier, sa parole est d'or. Pourtant, Roland Dumas commet une erreur de casting: en 1991, Lissouba n'était pas encore au pouvoir. Cette tentative a eu lieu sous la période de transition d'André Milongo, qui avait eu l'idée incongrue de faire auditer les comptes d'Elf Congo par un cabinet américain ! Il semble que ce soit Pierre Joxe, alors ministre de la Défense et de passage à Libreville, qui ait fait échouer cette tentative de "changement radical". De cette période, Sassou a gardé un souvenir ému d'Alfred, qui disposerait d'un passeport congolais flambant neuf avec une photo où il porte une barbe, signé par le ministre de l'Intérieur Pierre Oba. Ce que nie ce dernier... La seule trace concrète de la présence d'Alfred Sirven est en fait venue... de Colombie. Selon nos informations, la police colombienne a émis le 25 février le message suivant à Interpol (N° 11-DAS-OI-UCOM-K-734): "En coopération avec les Forces de police locales, nous demandons assistance à l'ambassade de France sur le dénommé Alfred Sirven - Photo- Empreinte - Probable qu'il soit dans notre pays". Et, pendant qu'il court le furet, les juges suisses préparent non seulement la liste des comptes des "amis" d'Elf en Suisse, mais également une nouvelle liste de "salariés" officiels (les cadres, pour échapper à l'impôt) et officieux (les lobbyistes, les amis ayant rendu service et les commissionnaires). Et en Suisse, un compte perso est un compte perso ! Le président Omar Bongo vient à nouveau de l'apprendre à ses dépens. Le Tribunal fédéral a rejeté le 23 mars son recours pour empêcher la saisie du compte "Davenport" (n°01.10200.0) ouvert à la CIBC de Genève (voir page 7). LES RESEAUX AFRICAINS RPR (LA LETTRE DU CONTINENT n°326 du 01/04/99). Dans leur quatrième volume de "La Décennie Mitterrand" (Ed. Seuil), qui couvre la période 1992-1995, les journalistes Pierre Favier et Michel Martin-Roland brossent ainsi "en trois pôles les réseaux africains de la droite" à l'heure de la cohabitation:- "L'équipe Hôtel de Ville-rue de Martignac, où travaille depuis 25 ans l'incontournable Jacques Foccart qui, à 80 ans, oeuvre pour le compte exclusif de Jacques Chirac, assisté de l'ambassadeur Fernand Wibaux. Il est relayé sur le terrain par les réseaux du Club 89, animé par Jacques Toubon et l'équipe Michel Aurillac-Robert Bourgi. A partir de l'été 1994, cette équipe se réunit chaque semaine autour de Jacques Foccart pour organiser la collecte des financements africains en vue de la campagne présidentielle française. Un "porteur de valises" de ce groupe a confié aux auteurs qu'il y avait urgence car la manne transitant par le groupe Elf était versée à la campagne d'Edouard Balladur, depuis la nomination de Philippe Jaffré à la tête du groupe pétrolier en remplacement de Loïk Le Floch-Prigent. Les points d'appui africains de l'équipe chiraquienne de Foccart sont avant tout Bongo et Mobutu.- Le ministre de l'Intérieur (alors Charles Pasqua, NDLR) est devenu le personnage central d'un deuxième réseau, au point que pas un chef d'Etat africain ne passe par Paris sans lui rendre visite. Charles Pasqua peut également faire usage de crédits du Conseil général des Hauts-de-Seine qui consacre 70 millions FF par an à l'aide à l'Afrique. Par le truchement du Service de coopération technique internationale de la police (SCTIP), il a la haute main sur les activités de ce "conseil en sécurité et protection" des chefs d'Etat africains. Il peut aussi compter sur la fidélité des diasporas corse et libanaise, bien implantées en Afrique et notamment relayées pour la première par le préfet Jean-Charles Marchiani.- Troisième "réseau", celui du ministre Michel Roussin, grand connaisseur de l'Afrique depuis qu'il a secondé Alexandre de Marenches à la tête du SDECE (devenu DGSE). Il a pris toute la dimension de sa fonction, mais sa fidélité toute neuve à Balladur le rend suspect aux yeux des chiraquiens, qui font tout pour le déstabiliser, d'autant qu'il tente d'établir des fidélités au sein d'entreprises françaises actives en Afrique, telles que Bouygues, Elf, Bolloré ou la SCOA". Cinq ans après, que reste-t--il de ces "réseaux" ? Avec la disparition de Jacques Foccart en mars 1997 et la transformation du village franco-africain en "village global", le premier réseau s'est affaibli. Fernand Wibaux dispose cependant toujours d'un bureau au 14 rue de l'Elysée, et l'équipe Aurillac-Bourgi, qui informe toujours le secrétariat général de l'Elysée de ses activités, est plus discrète. De même, la dernière tournée fin 1998 de Charles Pasqua en Afrique a été totalement "furtive" tandis que son homme de confiance, Daniel Léandri, récemment à Abidjan, a quelques soucis dans l'affaire Elf. Enfin, l'ex-ministre de la Coopération Michel Roussin, président de SAE International, est le nouveau "Monsieur Afrique" du MEDEF et l'administrateur de plusieurs sociétés de Bolloré. ELF ET SES "AMIS" AFRICAINS. (LA LETTRE DU CONTINENT n°325 du 18/03/99). L'hebdomadaire Paris-Match a publié la semaine dernière, "en exclusivité" mondiale, la liste de 44 personnes étrangères au groupe qui bénéficiaient de salaires sur les comptes de la société Elf Aquitaine International (EAI), basée en Suisse. Les abonnés de La Lettre du Continent connaissaient dès le 27 août 1998 (LC N°311) les "bienheureux" amis africains du groupe: Georges Rawiri, le président du Sénat gabonais (60 000 FF/mois depuis le 1er janvier 1991), Edith Sassou Nguesso, fille du président congolais devenue l'épouse du président gabonais (30 000 FF/mois du 1er octobre 1989 au 30 septembre 1993), Nicole Abou Jamra (50 000 FF depuis le 1er juin 1993), Chantal Ndoye Foe (50 000 FF depuis le 1er janvier 1991)... Sans parler des Franco-Africains du village: le fils Léandri, François Antona LA SEM 92 DE CHARLES PASQUA ET LE GABON. (LA LETTRE DU CONTINENT n°325 du 18/03/99). Dans son dernier rapport, la Cour des comptes rappelle que la "SEM Coopération" des Hauts de Seine a été chargée le 21 juin 1991 de la réalisation de 62 classes à Libreville (contrat de 13,6 millions FF) et le 12 juillet 1991 des travaux de la route d'accès au dispensaire de Lekoni, dans le Haut Ogooué, (3,8 millions FF). "Ces deux opérations achevées fin 1991 n'étaient toujours pas soldées dans les comptes 1996 de la SEM 1992", et "dans les deux cas, la SEM a contracté de gré à gré avec une même entreprise gabonaise de travaux publics, invoquant un motif d'urgence, lequel apparaît fort mal fondé", écrivent les experts de la Cour des comptes, peu initiés: si la SEM 92 n'a toujours travaillé qu'avec une seule entreprise, c'est certainement qu'elle avait fait ses preuves JEAN-MARIE COULBARY ET LA MONTRE D'OMAR BONGO C'est sans doute le plus "voltigeur" de tous les lobbyistes sur l'Afrique. Sénégalais d'origine, Jean-Marie Coulbary, longtemps associé à Barbara Hayward, la représentante des Républicains américains à l'étranger, est à nouveau persona grata au Palais du bord de mer, après avoir été interdit de séjour au Gabon en octobre 1998 (LC N°315). Il était alors le conseiller en communication du père Paul Mba Abessole, le leader des Bûcherons! (LC N°315). Aujourd'hui, c'est donc le retour au bercail (l'a-t-il jamais quitté?) avec un contrat de 350 000 $ et la montre d'Omar Bongo au poignet. "Jean-Marie" explique à tout le monde que le président gabonais lui a offert sa montre en signe de réconciliation. Elle est lourde? UN COMPTE EN SUISSE Le président Omar Bongo a totalement changé de stratégie juridique sur le dossier du compte en Suisse numéro 10 200 à la CIBC (Canadian Imperial Bank of Commerce) de Genève et saisi par la justice. Dans un premier temps, son avocat Jacques Vergès avait plaidé que ce compte appartenait au président gabonais et était donc couvert par l'immunité du chef de l'Etat. La Cour d'appel ayant rejeté ce recours, un communiqué officiel gabonais estime aujourd'hui que cette décision est bien "la preuve que ce compte ne lui appartenait pas". Il est vrai que la chambre d'accusation suisse a considéré que non seulement Samuel Dossou Aworet, le vrai titulaire du compte Devenport Associated SA 96 société panaméenne qui avait reçu du compte de la CICB 1,5 million $ en faveur du compte 136 153 baptisé Mineral, ouvert par Alfred Sirven à la Banque de dépôt et de gestion de Lausanne 96 n'avait reçu une délégation d'El Hadj Omar Bongo que "postérieurement à la constitution de Devenport", mais le juge d'instruction a constaté que le document de la présidence du Gabon du 6 avril 1987 "est soit caviardé, soit signé en blanc". De plus, "ce mandat n'implique pas que Samuel Dossou Aworet était autorisé à se déclarer ayant droit des avoirs de Devenport". La présidence gabonaise a néanmoins déposé un recours devant le Tribunal fédéral, la plus haute instance en Suisse. |