Section: Politique
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Le Figaro. Tous droits réservés.
Date de publication: 14 Avril 2001.
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Paris (Le Figaro, 14 avril 2001) - La guerre que se livrent les frères trouve aussi son terrain d'expression hors de nos frontières et en particulier en Afrique, où l'influence des francs-maçons est incontournable. Avec l'indépendance acquise dans les années 60, de très nombreux chefs d'Etats africains se sont initiés à la maçonnerie.
Accéder à la lumière s'impose rapidement comme une nécessité pour ces leaders promus subitement aux plus hautes responsabilités, mais qui disposent d'une légitimité politique incertaine et souvent contestée. Devenir maçon et, si possible, grand maître, est une opportunité à ne pas négliger pour renforcer son autorité au-delà des clivages traditionnels (familles, ethnies) qui régissent les rapports en Afrique.
L'initiation des responsables politiques africains s'est faite d'autant plus facilement que la franc-maçonnerie était déjà très fortement implantée dans l'administration coloniale.
Peut-être faut-il voir là la raison pour laquelle le poste de ministre de la Coopération ou celui de conseiller aux affaires africaines est régulièrement attribué à un franc-maçon, comme le rappelait notre confrère Le Monde diplomatique de septembre 1997, qui cite les exemples de Fernand Wibaux, conseiller aux affaires africaines du président Chirac et «initié au Grand Orient», de Jacques Godfrain, ministre de la Coopération et membre de la la Grande Loge nationale de France (GLNF), ou encore de Guy Penne, conseiller de François Mitterrand.
Christian Nucci, frère affilié au Grand Orient, a défrayé la chronique dans l'affaire du Carrefour du développement. La révélation d'un important système de fausses factures émises à l'occasion du sommet franco-africain de Bujumbura venait mettre en lumière l'importance du continent noir dans le financement de la vie politique française. L'affaire a connu de nombreux rebondissements, dont le plus fameux est celui du vrai-faux passeport délivré, sur ordre du ministre de l'Intérieur de l'époque, à Yves Chalier, alors chef de cabinet du ministre de la Coopération, Christian Bucci. Yves Chalier fut donc ainsi exfiltré discrètement en Amérique du Sud et hébergé quelque temps chez un certain André Noël Fillipeddu. Une affaire dans l'affaire qui devait mettre en évidence l'efficacité outre-mer d'un réseau au moins aussi influent que celui des frères-: le réseau corse.
Pour se persuader de l'intérêt porté par les frères - toutes obédiences confondues - à la terre de mission africaine, il faut se reporter à la date du 5 février 1987, jour de l'accident d'avion au cours duquel Michel Baroin, PDG de la Fnac et de la GMF (Garantie mutuelle des fonctionnaires), trouva la mort peu après son décollage de Brazzaville, au Congo, où il venait de rencontrer le président congolais Denis Sassou NGuesso. L'avion qui transportait Michel Baroin s'est écrasé sur le mont Cameroun dans des conditions qui n'ont jamais réellement été élucidées. En qualité de PDG d'une mutuelle de fonctionnaires français, aussi importante soit-elle, l'accident n'aurait guère suscité de commentaires. Mais Michel Baroin, qui présente la particularité d'avoir occupé un poste de commissaire des Renseignements généraux, est surtout grand maître du Grand Orient de France et, plus que la défense des intérêts des fonctionnaires, c'est bien cette dernière qualité qui motive ses fréquents déplacements en Afrique, où il est traité comme un chef d'Etat. Quatorze ans après sa disparition, l'hypothèse fut émise que Michel Baroin envisageait de se présenter à la présidence de la République.
Mais le plus célèbre des frères africains est gabonais. Nombreux sont ceux qui attribuent à ses relations maçonniques l'influence considérable d'Omar Bongo, qui fut, à 32 ans, le plus jeune chef d'Etat de sa génération en Afrique. Dans ses mémoires, Blanc comme nègre, le président Bongo ne cherche d'ailleurs pas à dissimuler l'importance de son initiation sur sa carrière politique, alors qu'il était encore un tout jeune homme : «Tout est venu de la rencontre d'un homme, comme souvent lorsque l'on sort de l'adolescence et que l'on se cherche. Cet homme admirable qui a fait basculer ma vie s'appelait Naudy. (...) Il était inspecteur général des PTT, socialiste et franc-maçon. (..) C'est lui qui m'a pris en charge et qui m'a formé politiquement. (...) Mon ami Naudy ne m'a pas seulement initié à la franc-maçonnerie, c'est lui qui m'a fait entrer aux Jeunesses socialistes, c'est-à-dire à la SFIO.» En revanche, lorsqu'il est question du Gabon, l'histoire passe sous silence la manne d'argent noir qui est réputée fuir de l'Etat pétrolier. On sait seulement que Omar Bongo, qui est aujourd'hui grand maître et qui a fondé son propre ordre maçonnique, est l'interlocuteur incontournable des affaires pétrolières en Afrique. Une influence qui ne se limite pas à sa seule personne puisque le deuxième personnage du pays, Georges Rawiri, président du Sénat du Gabon, est également initié. Pour la petite histoire, c'est avec M. Rawiri que François de Grossouvre avait prévu de dîner le 7 avril 1994 avant de brutalement se raviser. Peu avant 20 heures ce jour-là, l'ex-confident du président Mitterrand se tirait une balle dans la tête, dans son bureau de l'Elysée.
En épousant Edith, la fille de Sassou Nguesso, président du Congo-Brazzaville, où se trouve l'un des plus gros gisements de la société Elf Aquitaine, Omar Bongo ne pouvait pas éviter de prendre parti dans la terrible guerre civile qui allait opposer Sassou Nguesso à son rival depuis toujours, Pascal Lissouba. Une guerre qui verra tour à tour les deux hommes s'emparer du pouvoir et dans laquelle, fatalement, la franc-maçonnerie allait se trouver impliquée et, parfois même, exporter ses querelles hexagonales.
Sassou Nguesso, beau-père d'Omar Bongo, est en effet également franc-maçon. Sassou Nguesso aurait adhéré à une loge sénégalaise affiliée à la GLNF, selon La Lettre du continent du 3 juillet 1997, tandis que son rival Pascal Lissouba appartient, lui, au GO.
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